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IKEA ou la théâtralisation d’un conformisme postmoderne qui tend à annuler la hiérarchie sociale

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La société de consommation de masse bouleverse les codes de l’ancienne « théâtralité de conformité » (1) des intérieurs ainsi que l’inscription des meubles et des objets de décoration dans la durée. Depuis le XIXè siècle, la bourgeoisie s’est employée à construire, à travers l’accumulation des meubles, un intérieur qui témoignait de son enrichissement.

Publicité Ikea, 2008

L’accumulation et la transmission du mobilier symbolisaient, pour la bourgeoisie, toujours soucieuse d’imiter la noblesse, une réussite qui s’exhibait avec fierté de génération en génération. Le peuple devait se contenter de la médiocrité utilitaire de meubles dépourvus d’esthétique.

Ce n’est plus le cas aujourd’hui avec une consommation de masse influencée par la logique de la mode qui impose, dans tous les domaines et à tous les objets, un cycle de vie plus court. Le mobilier, en s’émancipant de la durée, se projette hors de l’affirmation sociale pour s’inscrire dans une autre logique, celle du plaisir immédiat qui ne fait plus de l’achat un marqueur de classe.


Désormais, la bourgeoisie et les classes populaires achètent les mêmes meubles chez Ikea qui, en développant l’esthétique du design et le goût de l’épure, a su rendre inacceptable la surcharge bourgeoise devenue le symbole même d’une société immobile, enfermée dans les certitudes d’un esprit étroit, qui s’épuise dans la compétition statutaire.

Avec Ikea, acteur majeur du processus de démocratisation, la consommation de masse, qui se nourrit de l’idée d’égalité, propose, à des prix accessibles, des meubles et des objets de décoration débarrassés de l’ancienne lourdeur du conformisme social. Objet sans prétention, le meuble Ikea est le résultat d’une culture hédoniste qui exclut toute gravité sociale.

Témoins de la disparition du mobilier destiné à affirmer un rang social, le médecin, le chef d’entreprise, le consultant, le créateur de start-up, le bobo progressiste et le bourgeois « réac », séduits par l’esthétique de l’épure, se fournissent chez Ikea. L’enseignant, longtemps soumis à la doxa collectiviste, renonce à la Camif pour vivre, dans les allées des magasins Ikea, une liberté d’achat enfin retrouvée.

En renonçant à un mobilier idéologisé au profit de la légèreté futile du meuble Ikea, l’individu s’affranchit des normes sociales longtemps véhiculées par l’imitation des meubles anciens. Nourri de l’idée démocratique d’égalité, l’agencement des intérieurs que propose Ikea permet aux classes populaires de parvenir au stade esthétique de la consommation. L’accès au Beau est immédiat, un Beau moderne débarrassé de la complexité du Beau ancien et du carcan de l’élitisme.

L’intérieur Ikea véhicule un message nouveau, celui de la désacralisation du meuble au profit d’un individualisme qui s’affirme, sans honte, dans la prolifération des achats subjectifs à bas prix.

Acteur majeur de la consommation de masse, Ikea est le symbole d’une économie marchande mondialisée devenue artiste. La nouvelle théâtralité est celle des « bobos », qui fait de la consommation, selon la formule de Gilles Lipovetsky, « un instrument de divertissement ».

Il en résulte un anticonformisme postmoderne, qui se construit sur une esthétique des apparences, de l’indifférenciation, et qui promeut un idéal de vie qui ressemble étrangement au « meilleur des mondes » que dénonce Huxley dans son roman.

Dieu est mort, Marx est mort, mais Ikea est bien vivant !

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Note :

(1) Lire Le Magazine du Monde du 27 juillet 2013, article « Le Monde selon Ikea ».

Le nouvel Economiste


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